La liturgie doit être stable

Publié le par Pro Ecclesia

Un des rôles qu'a toujours joué et que doit jouer aujourd'hui encore la liturgie est celui de "transmetteur". Ce n'est pas le moindre.

 

La liturgie se doit de transmettre son "signifié" au long des siècles, de générations en générations. C'est en ce sens qu'on peut utiliser, en parlant d'elle, des expressions comme "célébration de la foi" - la foi reste la même au cours du temps - ou "lex credendi". C'est aussi dans ce sens qu'on dit que la liturgie "se reçoit" mais ne s'invente pas.

 

La liturgie n'est donc ni un chantier permanent dans lequel devrait prendre place la subjectivité des fidèles, ni un assemblage plus ou moins hétéroclite de pratiques ou d'habitudes : elle est le lieu et le moment d'une certaine stabilité, ce qui implique qu'elle soit soustraite de tout subjectivisme.

 

La stabilité est un élément constitutif de la liturgie parce qu'elle est le meilleur moyen pour transmettre la foi de l'Eglise de générations en générations et révéler progressivement aux fidèles le sens et la profondeur de ce qui est célébré. Stabilité ne signifie pas ici "sclérose" : la liturgie peut subir des variations au cours du temps, mais à la condition que celles-ci n'aillent pas jusqu'à briser son harmonie et dénaturer sa structure et son esprit, et à condition aussi que les éléments nouveaux qui pourraient éventuellement y être introduits pour des raisons ayant un fondement théologique solide aux yeux de l'Eglise "sortent des formes déjà existantes par un développement en quelque sorte organique"(Cf. Const. Sacrosantum Concilium, n°23).

 

Comme l'enseigne très clairement le concile Vatican II, les changements en liturgie ne peuvent se faire que par petites touches imperceptibles qui ne peuvent en aucun cas être le fait des fidèles... pas même des célébrants, précise la Constitution conciliaire sur la Liturgie en son art. 22.

 

La stabilité est donc bien une caractéristique de la liturgie.

 

Se pose alors une question: les continuels réaménagements des sanctuaires, les cantiques et les refrains toujours nouveaux qu'on fait chanter aux assemblées, les variations de la liturgie qu'on observe d'une paroisse à l'autre et d'un célébrant à l'autre (ou même d'une messe à l'autre célébrée par le même prêtre), les pratiques propres à tel groupe de fidèles (pensons ici à celles qu'on voit dans certaines communautés charismatiques), les habitudes prises par tel célébrant cherchant à se singulariser... etc.... tout ceci qui se fait souvent de façon abusive "au nom du Concile", garantit-il la nécessaire stabilité de la liturgie ?

 

Posons la question autrement : toutes ces liturgies actuellement variables, aléatoires, plus ou moins recomposées selon l'inspiration du célébrant et du moment, pourront-elles transmettre la foi objective de l'Eglise de générations en générations ? Pour aller dans le concret, demandons-nous ce qui restera dans un futur proche des centaines de "chants d'assemblées" composées à la va-vite depuis le Concile pour évincer le chant grégorien ? Demandons-nous ce qui restera, dans les années à venir, des liturgies paroissiales actuelles dont la caractéristique commune est trop souvent la dysharmonie et la banalité ? Demandons-nous ce que nous transmettons aux générations à venir à travers les célébrations actuelles dont l'agencement ne laisse qu'une impression de fragilité et de précarité ?

 

Ni ces chants, ni ces célébrations ne peuvent transmettre quoi que ce soit de solide, d'épanouissant, de structurant au niveau de la foi, car ce qui les caractérise c'est d'abord leur côté factice et éphémère. Ce qui est conçu pour ne pas durer fait entrer le fidèle dans des "caricatures de la liturgie" : le pratiquant d'aujourd'hui croit participer à d'authentiques célébrations liturgiques alors qu'en réalité il ne prend part qu'à des assemblées où la liturgie est volontairement détournée de sa capacité à transmettre les valeurs pérennes de la foi.

 

Cette nécessaire stabilité de la liturgie a été plusieurs fois soulignée par le Cardinal Ratzinger : "la liturgie ne vit pas de surprises sympathiques, de trouvailles captivantes mais de répétitions solennelles. Elle ne doit pas exprimer l'actualité et ce qu'elle a d'éphémère, mais le mystère du sacré" avait-il écrit dans Entretien sur la Foi (éd. Téqui).

 

Aussi, le fidèle qui pénètre dans une église devrait-il pouvoir trouver tout de suite une ambiance générale rappelant la stabilité liturgique qui se déroule en ce lieu: absence d'autel amovible (édicule non fixé au sol mis en avant du sanctuaire), absence de gadgets décoratifs éphémères (panneaux colorés, banderoles...), absence de dissymétrie (deux cierges sur un coin de l'autel et vase sur l'autre coin)... etc. Car la stabilité de la liturgie a également besoin d'être évoquée par l'équilibre et l'harmonie des éléments qui entrent au service de la célébration de la foi.

 

Là où règnent le déséquilibre et la dysharmonie prévalent l'inconstance et la précarité qui sont des vecteurs d'instabilité et donc d'incertitudes.

 

Dans "La lumière sans déclin", Serge Boulgakov rappelle que "la théurgie est une action de Dieu, une effusion sur l'homme de sa grâce miséricordieuse et salutaire. En tant que telle elle dépend de la volonté de Dieu, et non pas des hommes. (...) Celle-ci est opérée au moyen de la liturgie, dont les sacrements, culminés par l'Eucharistie, constituent le centre même." Et le théologien orthodoxe de poursuivre : "la théurgie des sacrements est étroitement liée au rite et au culte en général. Il n'y a pas non plus place pour une activité personnelle en tant que telle. C'est la puissance de l'opération sacramentelle qui y règne (...). Bien que le rite de la liturgie possède la plus grande stabilité hiératique, il y a là encore un mouvement continu qui se manifeste parfois que par des nuances et des demi-teintes. Le développement liturgique est l'indice le plus exact de ce qui se passe dans la profondeur mystique de la vie, encore qu'un observateur extérieur qui ne chercherait que des "signes" serait incapable d'en percevoir la pulsation spirituelle, intime et pleine d'émotion. Cela fait que l'on parle d'une immobilité de la vie ecclésiale et l'on lance des appels bien programmés, mais religieusement stériles, à une nouvelle "création liturgique".

 

C'est souvent parce que nous ne savons plus percevoir ce qui se passe "en profondeur" dans la liturgie que nous en venons à souhaiter des messes "plus vivantes", plus "distrayantes", plus "changeantes" et que nous imaginons des gadgets, des distractions : nous devons cependant nous persuader que de telles célébrations, instables par nature, ne sauront rien transmettre aux générations futures. Il nous faut impérativement retrouver la stabilité qui doit caractériser toute liturgique authentique, c'est-à-dire célébrée par l'Eglise à la gloire de Dieu qui est lui-même, selon S. Thomas d'Aquin, "le Moteur immobile".

 

Source : Pro Liturgia

Publié dans Liturgie

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